
Réplique : l’importance des faits… et du dialogue
Par Nicolas Zorn, directeur général de l'Observatoire
Cher Michel,
Je dois vous avouer que c’est avec grand plaisir que j’ai appris l’intérêt qu’a suscité notre lettre ouverte, au point de justifier une réaction de votre part, dans La Presse + en plus. Je suis d’ailleurs bien heureux que vous soyez prêt à laisser la chance au coureur.
Des arguments pertinents
J’aborde les inégalités depuis plusieurs années maintenant lors de conférences et de cours, incluant à l’Université de Montréal et à l’Université McGill. L’une des petites fiertés que j’en tire est que je présente la plupart des arguments expliquant la hausse récente des inégalités de revenus, qui sont tant d’origines économique et sociale que politique. Je présente certains arguments favoris de la gauche comme de la droite. Leur niveau de preuve empirique les appuyant est mon critère principal de sélection.
Vous serez donc heureux d’apprendre qu’effectivement, « l’accouplement assortatif » – le fait que les personnes plus aisées financièrement tendent à se marier davantage entre elles, accroissant les inégalités de revenus selon le ménage – fait partie des explications que j’aborde. L’Observatoire tentera d’ailleurs d’en évaluer l’effet sur l’évolution des inégalités au Québec, comme il le fera pour les autres principales causes identifiées dans la littérature scientifique.
Idem pour les enjeux propres aux choix de sociétés que nous faisons collectivement quant à la redistribution et la régulation de l’économie. L’important est de bien connaître l’ensemble des coûts et bénéfices de ces choix. Les constats de la science, ou leur absence lorsque c’est le cas, peuvent nous éclairer à cet effet. Là est le cœur de la mission de l’Observatoire québécois des inégalités.
Un biais en faveur de la science
Peut-être y a-t-il un malentendu quant à l’approche que nous privilégierons. Notre point de départ, notre mission est de favoriser la réduction des inégalités de revenus, d’opportunité et de qualité de vie lorsqu’elles sont trop élevées – c’est-à-dire lorsqu’elles génèrent des coûts importants pour l’économie et pour la société – en mobilisant et en vulgarisant des connaissances scientifiques qui sont objectives, rigoureuses et accessibles.
Concrètement, nous évaluerons l’impact des politiques et des pratiques sociales sur les inégalités, ainsi que l’impact des inégalités sur la société, l’économie et la démocratie. L’Observatoire ne prend pas position en faveur de politiques et ne le fera pas. Nous existons pour éclairer le débat public, pas pour le faire à la place de la population et ses décideurs politiques, économiques et sociaux.
D’ailleurs, notre première publication – le Bulletin des budgets – se veut une belle illustration de notre parti pris en faveur de cela, en laissant la parole à un panel d’économistes et de spécialistes de toutes les disciplines et provenances. Vous reconnaîtrez plusieurs noms, dont certains sont même passés par votre organisation. Les membres du panel se sont prononcés quant à l’effet sur les inégalités des politiques mises de l’avant dans les budgets fédéral et provincial. Ce sont les consensus en sciences sociales qui en émergent, avec toutes les nuances que peuvent apporter ces spécialistes.
Des nuances à apporter
Je comprends votre intérêt à élargir les comparaisons à l’ensemble des pays du monde. Toutefois, l’Observatoire concentrera ses travaux sur la situation québécoise et aura à le comparer avec celle d’autres sociétés comparables, soit principalement des pays développés. En ce sens, nous ne prioriserons malheureusement pas les comparaisons avec des pays à la situation socioéconomique plus éloignée, comme le Bangladesh et le Sénégal.
Quant aux politiques publiques, l’Observatoire a pour mandat d’évaluer leurs effets, mais ne fera pas de recommandations. Je me permets toutefois de vous partager mon analyse personnelle quant à votre proposition que « l’État intervienne pour faire et défaire les couples ». Je doute notamment de son efficacité probable et de l’adhésion sociale qu’elle suscitera. Bien que celle-ci puisse effectivement réduire nominalement certaines inégalités de revenus, cela risque d’augmenter les inégalités de qualité de vie, l’une des trois inégalités que l’Observatoire abordera.
Un constat qui dépasse les idéologies
Le constat que les inégalités ont augmenté et qu’elles ont des effets néfastes lorsqu’elles sont trop élevées est largement partagé par des organisations aussi diverses que l’OCDE, le FMI, le Forum économique de Davos, la Banque mondiale, l’ONU et Oxfam. Comme pour les changements climatiques, l’axe gauche-droite perd en pertinence et rallie désormais la grande majorité de la société. C’est pourquoi les plus de 120 signataires de la lettre ouverte à laquelle vous faites référence proviennent de toutes les sphères de la société.
En conclusion, je suis conscient que les attentes à notre égard sont élevées, que nous avons mis la barre haute et que notre crédibilité dépendra de notre capacité à éclairer le débat public avec des connaissances scientifiques plutôt que de l’influencer avec des idées, aussi pertinentes soient-elles.
Merci d'avoir entamé le dialogue et au plaisir de le poursuivre avec vous.
Nick
À propos de l'auteur de ce billet
Nicolas Zorn
Nicolas est doctorant en science politique à l’Université de Montréal et détient une maîtrise en science politique ainsi qu’un baccalauréat en communication et politique, tous deux obtenus à l’Université du Québec à Montréal. Spécialiste des inégalités, il a publié plusieurs études sur le sujet et est régulièrement invité à commenter des enjeux économiques et sociaux dans les médias. Conférencier et auteur, il a récemment publié l’ouvrage Le 1% le plus riche : l’exception québécoise (Presses de l’Université de Montréal) et l’essai autobiographique J’ai profité du système. Des centres jeunesses à l’Université, parcours d’un enfant du modèle québécois (Somme toute). Il est également porte-parole de la Fondation du Centre jeunesse des Laurentides.
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour