
Geoffroy Boucher, économiste
Mars 2023
Les baisses d’impôt promises lors de la récente campagne électorale suscitent un vif débat. Alors que le ministre des Finances, M. Eric Girard, déposera le budget 2023-2024 du gouvernement du Québec le 21 mars prochain, plusieurs acteurs de la société civile, dont une cinquantaine d’économistes et analystes des finances publiques, ont pris parole au cours des dernières semaines afin d’inviter le gouvernement à reconsidérer ce choix de politique.
Dans un mémoire déposé dans le cadre des consultations prébudgétaires, la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP) a analysé la proposition de baisse d’impôt énoncée en campagne électorale, soit une réduction d’un point de pourcentage sur les deux premiers paliers d’imposition. Selon l’analyse de la CFFP, l’ensemble des contribuables imposables – c’est-à-dire les individus ayant un revenu suffisant pour payer de l’impôt à la fin de l’année – bénéficieraient de la baisse d’impôt proposée, mais les gains augmentent graduellement à mesure que le revenu de travail des individus augmente, jusqu'au plafond établi à 100 500$ [1].
Tableau 1. Économie d’impôt, baisse d’un point de pourcentage des deux premiers taux du barème, personne vivant seule, Québec (2023)
Source : Luc Godbout et al. (2023). Peut-on conjuguer un objectif d’endettement et des baisses d’impôt? …et autres analyses et réflexions en matière de finances publiques et de fiscalité. Sherbrooke : Chaire de recherche en fiscalité, p. 18.
L'analyse qui suit mobilise l’Enquête canadienne sur le revenu de 2018 – dernière année pour laquelle un fichier de microdonnées à grande diffusion est disponible – afin de dresser un portrait des personnes qui bénéficieraient le plus de la baisse d’impôt proposée et de celles qui n’en bénéficieraient pas. Cette première catégorie regroupe les individus qui disposaient d’un revenu d’emploi de plus de 86 000 $ en 2018, soit l’équivalent de 100 500$ en dollars constants de 2023.
Près du tiers de la population ne bénéficiera pas des baisses d’impôt
Par définition, une baisse d’impôt ne peut bénéficier qu’aux individus ayant un revenu suffisant pour payer de l’impôt à la fin de l’année. Ainsi, près du tiers (32 %) de la population québécoise, soit les individus se trouvant au bas de la distribution des revenus, ne pourraient bénéficier de cette mesure. Cette proportion est plus élevée notamment chez les femmes (37 %), les jeunes âgés de 16 à 29 ans (51 %), et les individus sans diplôme (56 %). Les personnes immigrantes, de même que celles vivant en région rurale sont également représentées en plus forte proportion au sein du groupe d’individus qui ne bénéficieraient pas d’une réduction d’impôt.
Figure 1. Proportion de la population bénéficiant ou non de la baisse d’impôt selon le sexe, le statut d’immigration et la région de résidence, Québec
Source : Statistique Canada. Enquête canadienne sur le revenu 2018, fichier de microdonnées à grande diffusion. Calculs de l'auteur. Notes : Les données manquantes ou non déclarées ont été exclues de l’analyse. Pour la région de résidence, la population urbaine résidant dans une agglomération de recensement a été exclue de l’analyse.
Ce sont plutôt les deux tiers (68 %) les mieux nantis de la population québécoise qui se partageraient les 1,9 milliards de dollars que pourrait coûter la mesure en 2023. Parmi ceux-ci, les individus ayant un revenu d’emploi supérieur à 100 500 $ obtiendront le maximum d’économies, soit 814$ en 2023. Ces individus représentent 7,4% de la population. Ils sont plus souvent des hommes, âgés entre 30 et 59 ans, non-immigrants, détenant un diplôme universitaire et vivant en milieu urbain.
Tableau 2. Proportion de la population bénéficiant ou non de la baisse d’impôt selon l’âge et le niveau de scolarité, Québec
Source : Statistique Canada. Enquête canadienne sur le revenu 2018, fichier de microdonnées à grande diffusion. Calculs de l'auteur. Notes : Les données manquantes ou non déclarées ont été exclues des analyses.
Les baisses d’impôts pourraient accroître les inégalités de revenu
L'impôt sur le revenu a un impact redistributif significatif [2]. Au Québec, les inégalités de revenu après impôts et transferts sont environ 23 % plus faibles que les inégalités avant impôts et transferts [3]. Une diminution des impôts, si elle n’est pas contrebalancée par une augmentation des transferts gouvernementaux vers les individus à faible revenu, réduirait cet effet redistributif et pourrait ainsi contribuer à accroître les inégalités de revenu.
Dans un contexte de hausse marquée du coût de la vie qui touche de manière disproportionnée les ménages à faible revenu, toute modification au système fiscal québécois doit être analysée avec attention. L’Observatoire québécois des inégalités espère que la présente analyse contribuera à alimenter la réflexion.
Références et notes
[1] Luc Godbout et al. (2023). Peut-on conjuguer un objectif d’endettement et des baisses d’impôt? …et autres analyses et réflexions en matière de finances publiques et de fiscalité. Sherbrooke : Chaire de recherche en fiscalité, p. 18.
[2] Joumard, Isabelle, Mauro Pisu et Debbie Bloch (2012), Tackling income inequality: The role of taxes and transfers, OECD Journal: Economic Studies, Vol. 2012/1.
[3] Sandy Torres, Marie Mélanie Fontaine et Marc-Antoine Dionne (2021), État des inégalités de revenu au Canada et au Québec : variations et analyses intragroupes, Montréal : Observatoire québécois des inégalités